Misères et mystères de Pompéi

Le site archéologique de Pompéi, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1997 est-il en péril ? Les écroulements de murs de maisons antiques qui sont multipliés au cours des trois dernières années, ont déclenché une vague de polémiques. L’Italie a été rappelée à l’ordre par l’Union Européenne et exhortée d’accentuer ses efforts pour sauver Pompéi. Reportage dans Accents d’Europe sur RFI le 2 avril 2014. 

 

Reportage publié dans Ouest France daté du vendredi 18 avril 2014

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« Ca c’était la signalétique de l’époque romaine. La lumière de la lune s’y reflétait et servait à s’orienter de nuit dans les rues de Pompéi ». Umberto, gardien du plus grand site archéologique du monde, montre un alignement de pierres blanches incrustées dans les larges pavés. Une trouvaille qui lui sert toujours pendant ses gardes nocturnes, plus de 2500 ans après la fondation de la cité romaine. Umberto pourrait même arpenter les rues désertes du site les yeux fermés. Il ne craint ni les ombres des chiens errants, ni les momies des anciens habitants de Pompéi. « Vous voyez ici, c’est une femme enceinte » explique-t-il en montrant du doigt ce qui ressemble à une statue, mais qui est en fait une dépouille calcifiée après l’éruption du Vésuve en 79 après JC. Imperturbable, le gardien du site, nous montre cette fois des ossements, sans doute ceux de malfaiteurs, pris au piège par une seconde explosion du volcan alors qu’ils cherchaient à piller la cité. L’impassible Umberto se désole en revanche devant les grilles fermées de certaines domus, 25 en tout, en cours de restauration ou restaurées depuis des années, mais restées fermées au public. « Voilà la Casa dei Vetti, la plus belle de Pompéi. Et elle est fermée depuis environ 13 ans… » Lenteurs bureaucratiques, manque de personnel de surveillance, dégradations dues aux infiltrations d’eau et au manque d’entretien général font que le site de Pompéi est aujourd’hui l’ombre de ce qu’il fut dans le passé. « Il y a dix ans, je ne me rappelle pas qu’autant de maisons étaient fermées » raconte Laure, une française passionnée d’archéologie.

Mais Pompéi continue d’attirer plus de 2 millions de visiteurs chaque année. En cet après midi printanier, les rues grouillent de touristes émerveillés. En italien, en français, anglais, chinois ou russe, les guides racontent à l’infini comment Pompéi a disparu sous les cendres du Vésuve le 24 aout 79, et comment ce trésor caché ne fut découvert qu’a partir du XVIIIe siècle. Depuis 1748, les fouilles archéologiques se sont progressivement élargies sur 44 hectares. Un site aujourd’hui difficile à entretenir. Récemment, après de fortes pluies, des pierres de l’arc du temple de Vénus et d’un mur de la nécropole de Porta di Nocera sont tombées. Au cours des trois dernières années la maison des Gladiateurs, la maison du Moraliste, la maison de Loreius Tiburtinus, la villa des Mystères ont elles aussi été endommagées par les intempéries.L’Unesco et l’Union Européenne ont rappelé l’Italie à l’ordre, à plusieurs reprises, l’exhortant à « prendre soin de Pompéi lieu emblématique pour l’Europe mais aussi pour le monde ».

« C’est un peu facile de crier au loup » se défend le surintendant actuel du site, Massimo Ossana. « En réalité, il y a énormément de travail qui est fait, mais qui ne se voit pas. Des travaux de manutention sont effectués sur les maisons affectées par des éboulements et en parallèle le Grand Projet Pompéi vise à la restauration du site d’ici à 2015»

Lancé en grande pompe en 2012, le Grand Projet Pompéi prévoit la restauration complète de cinq domus (maisons) et la mise en sécurité des édifices. Mais en deux ans, sur 55 projets en tout, 14 seulement ont fait l’objet d’appels d’offre, seuls cinq chantiers ont démarré et pour l’instant une seule maison a été restaurée. Cause de ces atermoiements : les lenteurs administratives liées aux appels d’offres, aux contrôles anti-mafia et aux recours des entreprises dont le projet a été débouté.

Ouest France Une 18 avril 2014Le Grand Projet Pompéi a été doté d’un budget de 105 millions d’euros dont 42 millions financés par l’Union Européenne. Le gouvernement italien vient par ailleurs de débloquer 2 millions d’euros pour des interventions d’urgence. Mais en réalité, ce n’est pas l’argent qui manque, selon un responsable syndical qui dénonce en revanche des erreurs dans la gestion des fonds. Chiffres en main, Antonio Peppe explique que la billetterie du site rapporte environ 20 millions d’euros par an, une somme considérable, qui s’ajoute aux subventions européennes et autres financements publics. Cette mine d’or, pourrait-elle attiser les appétits de la mafia qui gangrène l’arrière pays de Naples ? Cette hypothèse, qui fait long feu dans la presse, est écartée d’un revers de la main par le syndicaliste. « Les seules infiltrations que j’ai vue ici ce sont les infiltrations d’eau. Je vis ici depuis toujours, et je n’ai jamais vu un mafieux se promener dans les ruines de Pompéi » ironise-t-il. « La seule chose à faire aujourd’hui pour garantir l’avenir du site c’est d’engager du personnel ouvrier pour l’entretien ». Il y a urgence d’intervenir. « A la dégradation et au traitement que l’Italie réserve à Pompéi, on associe désormais l’image d’une nation entière » déplore Antonio Irlando, un avocat passionné d’histoire. Mais les misères et mystères de Pompéi font aussi partie du charme du site touristique le plus visité d’Italie.

L’Aquila, 5 ans après le séisme

La Presse - L'AquilaReportage à l’Aquila, 5 ans après le séisme. Publié le 6 avril 2014 sur LaPresse+ (Canada)

Cinq ans après le séisme de l’Aquila qui a fait 309 morts, la reconstruction est loin d’être achevée. Familles des victimes et experts de cette ville du centre de l’Italie (dans la région des Abruzzes) appellent à ne pas oublier les leçons du 6 avril 2009, explique notre journaliste.

Mathilde Auvillain
Collaboration spéciale

L’Aquila – « Bienvenue à Sarajevo d’Abruzzo » murmure un habitant de l’Aquila, en s’aventurant dans les rues défoncées du secteur de la ville qui demeure encore aujourd’hui fermé.
Rue Cola dell’Amatrice, au cœur d’un des quartiers les plus endommagés par le tremblement de terre, le temps s’est arrêté le 6 avril 2009 à 3h32. Dans les entrailles des immeubles éventrés, on aperçoit des restes de vie. Mais c’est un silence de mort qui règne. Du linge sèche encore sur une corde. Des rideaux poussiéreux s’agrippent aux vitres cassées. Des chaussures perdues dans une fuite précipitée gisent au milieu des gravats. Cinq ans après le séisme qui a fait 309 morts, une pluie battante balaye la capitale des Abruzzes.
Comme si le ciel pleurait de toutes ses larmes sur la désolation qui a pris racine dans cette ville. L’Aquila détient d’ailleurs aujourd’hui le triste record de la plus grande consommation d’antidépresseurs du pays. Selon le maire, Massimo Cialente, 78% de ses concitoyens estiment qu’il ne fait pas bon vivre à ici.
Difficile pour les habitants de l’Aquila de faire le deuil d’un parent, d’un enfant, d’un ami, d’une maison et d’une vie passée, alors que les cicatrices sont encore sous les yeux de tous.
Les échafaudages, omniprésents dans la ville, sont néanmoins tapissés de banderoles « L’Aquila Rinasce » – L’Aquila renait. Les quelques commerçants qui ont réussi à rouvrir leurs boutiques sur la rue principale font remarquer l’apparition d’une forêt de grues et le lent va et vient de camions-bennes chargés de gravats. Selon les prévisions officielles, il faudra entre 8 et 10 ans pour achever la reconstruction.

Sergio Bianchi, le père de Nicola, un des huit étudiants mort dans l’effondrement de la Casa dello Studente, raconte la difficulté de se reconstruire soi-même, après cette tragédie. « On ne savait plus par où recommencer, on s’est sentis totalement abandonnés » raconte-t-il.
Les étudiants ont payé un lourd tribut. « Pour faire face au boom de l’université, qui était la richesse de l’Aquila, on a construit ou aménagé des petits appartements à la va-vite » raconte à son tour Angelo Lannutti, père d’une autre victime du séisme.
« La nuit du séisme, il y a eu deux premières secousses assez fortes. On a eu du mal à dormir, on se demandait ce qu’il fallait faire au cas où il faudrait évacuer » se souvient, Simone, rescapé de la Casa dello Studente. La voix chevrotante, il admet que jamais personne ne leur avait expliqué la procédure à suivre et que  jamais ils n’avaient douté de la solidité de la structure.
« Les citoyens n’ont pas été correctement informés, je parlerais même de désinformation » tambourine Gian Vito Graziano, président du Centre National de Géologie.
Le 22 octobre 2012, sept scientifiques de la Commission Grands Risques ont été reconnus coupables d’homicide par le tribunal de l’Aquila. Les experts ont été condamnés, en première instance, à six ans de prison ferme pour avoir manqué à leur devoir d’informer de manière adéquate les habitants de l’Aquila au sujet des risques potentiels d’un tremblement de terre dévastateur.
Gian Vito Graziano ne veut pas  montrer du doigt la Commission Grands Risques – le procès en appel devrait s’ouvrir en octobre – mais il estime qu’il est urgent d’informer et d’éduquer la population à la prévention des risques géologiques, comme c’est le cas dans d’autres régions du monde, en Californie ou au Japon. « Quarante à cinquante pour cent du territoire italien est exposé au risque sismique » détaille Gian Luca Valensise, géologue en charge du Projet Abruzzes au Centre National de Géologie. « Mais les italiens tendent à être fatalistes, ils considèrent les catastrophes comme inévitables, et par superstition il rejettent toute pensée négative ». Résultat : les plans d’évacuation sont approximatifs, les registres des structures présentant des risques en cas de séismes sont inexistants, la prévention est négligée.
Si un autre séisme frappe, il espère que des progrès auront été faits pour informer la population. « S’il n’y a pas d’argent pour mettre toutes les constructions aux normes, alors il faut miser sur l’éducation ». Faute de solutions immédiates à l’Aquila, il faut désormais regarder vers l’avenir.

En fin de journée, quelques rayons de soleil finissent par percer les nuages menaçants. Le vacarme des chantiers s’arrête, les ouvriers rentrent chez eux, en périphérie. Piazza Duomo, il ne reste que des ombres fuyantes et le silence, lugubre, enveloppe comme chaque soir depuis cinq ans la place centrale, cœur de l’Aquila.INTERNAZIONALE_L'AQUILA

CHIFFRES

309 personnes : sont mortes lors du séisme 70 000 personnes : ont du être évacuées. 22 120 personnes : n’ont pas encore pu rentrer dans leurs maisons
4,8 milliards de dollars : ont déjà été dépensés pour la reconstruction de l’Aquila
10,5 milliards de dollars : c’est la somme nécessaire pour reconstruire complètement l’Aquila, selon le maire Massimo Cialente

Article republié dans Internazionale (n. 1046 aprile 2014)

Naples : les damnés de la Terre des Feux

Dioxine dans la mozzarella, choux-fleurs fluos et cancers en augmentation. En Campanie, depuis les années 1990, la mafia a traité les déchets par le feu et la population en paie aujourd’hui le prix.

Reportage pour RFI-Accents d’Europe diffusé le 4 janvier 2014

 

 

 

CAPTURE_TERRA ECOReportage à Caivano, publié dans Terra Eco d’avril 2014 – « Cette décharge a été organisée scientifiquement : il y avait un bassin, qui a été asséché et rempli de bidons de produits chimiques venus du nord de l’Italie – il y avait encore les étiquettes sur les bidons retrouvés par les gardes forestiers » explique avec précision Vincenzo Tosti, médiateur social à la retraite. Ce petit homme hyperactif, constamment pendu à son téléphone, dénonce énergiquement depuis des années les déversements clandestins de déchets sur les parcelles agricoles de l’arrière pays napolitain. «La décharge a ensuite été recouverte de débris de chantier, puis une couche de terre arable a été ajoutée par dessus». Ni vu ni connu, ou presque. « C’est ce qu’on appelle le système « biscuit », il est facile à remarquer dans le paysage : comme vous le voyez le champ est un peu surélevé !». Sur ce terrain, dans le passé poussait du chanvre, culture qui a fait l’orgueil et la richesse de la Campanie au début du XXe siècle. Après guerre, cette production destinée à l’industrie textile a été supplantée par l’horticulture. Aujourd’hui, sur ces quelques hectares, quelques pieds de brocolis font de la résistance, s’élevant fièrement au milieu d’une étendue de mauvaises herbes. Le terrain a été décrété impropre à l’usage agricole et placé sous scellés après la découverte de la décharge clandestine, qui a pollué la terre et les nappes phréatiques. Une feuille de papier agrafée à un piquet de bois indique qu’il est même interdit d’accès. Autour, l’atmosphère est lugubre. Le vent siffle dans les ruines d’une maison abandonnée, les hululements de chiens enfermés dans un chenil résonnent sur toute la plaine. A l’horizon, une montagne éventrée par les extractions excessives de minerais exhibe son flanc nu. « La Camorra a bien fait son travail » murmure Vincenzo Tosti.

 

Quelques kilomètres plus loin au pied de « l’Asse Mediano » – fameux axe routier Naples-Caserte dont le ciment et l’asphalte regorgeraient, selon Legambiente, de déchets toxiques enfouis au moment de sa construction– la « Guardia Forestale » effectue une inspection. « Il s’agit d’un simple contrôle de routine » assure l’un des agents, tentant de chasser les curieux. A ses pieds, des douilles de cartouches de carabine recouvrent le sol. Deux ouvriers d’origine étrangère poursuivent impassiblement leur tache élaguant patiemment des plants de fraisiers. A moins de cent mètres de là, un monticule recouvert de végétation barre l’horizon. « C’est une des décharges dans lesquelles les ordures ménagères de Naples ont été entassées, au plus fort de la crise en 2008 » explique Vincenzo Tosti. « Regardez, là ça s’est effondré, on voit bien les sacs plastiques, les boites, les emballages. C’est dégoutant ». Sur le flanc de cette colline artificielle, il montre du doigt des monticules d’amiante, des tas bidons de produits chimiques et de chutes de cuir et tissus synthétique à moitié carbonisés. « Ils viennent déverser ces déchets ici, ensuite ils incendient un pneu pour faire tout disparaître et il se dégage une épaisse fumée noire ». Entre janvier 2012 et aout 2013, les pompiers de la région ont recensé 6.034 incendies clandestins dans 49 communes alentour. « Les incendies sont en général déclenchés le soir, entre 18h et minuit » indique un rapport de Legambiente. Une pratique désormais reconnue comme criminelle, qui a donné son nom à la région : « Terra dei Fuochi », Terre des Feux.

 

Reportage audio pour France Info dans Un Monde d’Info du 9 décembre 2013.

Reportage audio pour France Info dans Un Monde d’Info du 9 décembre 2013

« Antonio, file te mettre à l’abri dans l’Eglise, je t’en supplie! » implore Tina, voyant son fils jouer dehors alors qu’une fumée acre a enveloppé le « Parco Verde », un des quartiers les plus dégradés de Caivano. Il y a quelques mois, la sœur d’Antonio, Dalia, est morte à tout juste 13 ans d’une tumeur foudroyante. Les médecins et sa mère sont formels, la maladie est liée à la pollution de l’air, de l’eau, de la nourriture. « La fumée est blanche, il ne faut pas vous inquiéter, ce n’est que de la paille qui brule. C’est quand elle est noire que c’est dangereux » tente cependant de rassurer un voisin. Tina acquiesce, d’un air résigné. A Caivano, les habitants ont appris à vivre avec ces nuages de fumée. Sur le parvis de l’Eglise, où Don Patriciello, le prêtre de Caivano, s’apprête à célébrer la messe, les langues se délient. « Hier, on a ouvert un instant la fenêtre, parce qu’il faisait chaud. Tout à coup, l’air a commencé à nous piquer les yeux et nous bruler la gorge. On a du refermer tout de suite et se calfeutrer à l’intérieur » raconte une enseignante à la retraite. Le prêtre arrive, escorté par deux gardes. Le combat de « Don Mauro » contre la mafia locale est raconté dans Gomorra, roman de l’écrivain napolitain Roberto Saviano. « Nous sommes ici sur la terre du clan des Casalesi, la Camorra a tout simplement fait son métier ici : ce sont des criminels, ils font du mal. Mais nous vivons en Italie, pays de droit, République, qui a le devoir de protéger ses citoyens. Or pendant vingt ans, cela n’a pas été le cas » déplore le prêtre.

Tout le monde savait, personne n’a rien fait. Les paysans ont eu beau maintes fois porter plainte lorsqu’ils remarquaient l’apparition de décharges clandestines et les traces d’incendies, rarement ces dénonciations ont conduit à des interventions des forces de l’ordre. En 1997, le repenti de mafia, Carmine Schiavone révélait déjà aux magistrats enquêtant sur les déversements illégaux de déchets toxiques, l’ampleur de la catastrophe. Selon lui, la majorité des habitants de la région de Caserte risquaient de mourir de cancer dans les vingt années à venir. « Je ne pense pas qu’ils pourront survivre » insistait l’ex-boss de la mafia des déchets. « A Casapesenna, Casal di Principe, Castel Volturno, ils n’ont plus aucun espoir ». Aucune mesure n’a été prise. Au cours des vingt dernières années le taux de mortalité par cancers en Campanie a augmenté de 40% chez les femmes et de 47% chez les hommes. Pour l’actuel ministre de la santé, Beatrice Lorenzin, cette anomalie s’explique par le « style de vie » des napolitains. « Mais quel style de vie doit on adopter sur une terre où l’air l’eau et la nourriture sont polluées ? » s’interroge le médecin traitant de Frattamaggiore. Luigi Costanzo ne sait plus quoi dire aux quelques 1700 patients dont il a la charge. Il ne peut que constater une augmentation des allergies, des malformations de fœtus, des fausses couches, de l’infertilité et des tumeurs chez de jeunes patients. Il ne peut que continuer à combattre pour demander à ce qu’une enquête de santé publique soit effectuée dans la région et tenter de calmer la psychose qui s’installe et provoque une augmentation de « pathologies psychosomatiques ».

Il est de plus en plus difficile de faire de la prévention, explique le médecin désemparé. Il est aussi difficile de panser certaines plaies. « Personne ne nous a présenté d’excuses pour avoir tué nos enfants, personne ne nous a promis de faire quelque choses pour ceux qui sont encore vivants ou ceux à naitre qui continueront à respirer ces fumées toxiques et à boire cette eau contaminée » s’étrangle la mère d’Antonio, petit garçon de neuf ans et demi terrassé il y a six mois par un cancer foudroyant. A ses cotés, Imma et Tina ont elles aussi perdu un enfant en bas âge, suite à de rares tumeurs. Malgré l’insistance de la population, les autorités sanitaires sont pour l’instant restées sourdes à la demande d’établir un registre des tumeurs. Un tel annuaire pourrait pourtant servir d’arme dans les procès contre les empoisonneurs et permettrait de prendre la mesure du problème, pour y apporter les réponses adéquates.

L’arrière pays de Naples était depuis l’époque romaine appelé « Campania Felix », allusion à la fertilité des terres d’origine volcanique. Pendant des centaines d’années, les paysans y ont fait fortune grâce à la culture des tomates, brocolis, courgettes, chicorée, choux fleurs, des fèves et des poivrons, des oranges, des mandarines, des pommes et des poires exportées dans toute l’Europe, voire dans le monde entier, souvent sur les tables des plus grands. Jusqu’aux années 90, les bufflonnes aux imposantes cornes pouvaient pâturer paisiblement dans des prairies luxuriantes et produire un lait de qualité conférant ce gout unique aux mozzarelles, très prisées par la France qui en importe des milliers de tonnes chaque année.

C’était jusqu’au jour où la mafia a mis la main sur le business des déchets. Les hommes des clans de la terrible et sanguinaire mafia napolitaine ont empoché des millions d’euros pour enfouir des millions de tonnes d’ordures de toutes sortes dans les puits, les grottes, les gouffres, sur les terrains en jachère et dans les carrières désaffectées, contaminant irrémédiablement la terre et les nappes phréatiques. « Dans certaines zones, le pire est encore à venir. Le pic de pollution de la nappe phréatique de Giugliano devrait être atteint en 2064» estime un géologue commissionné par les enquêteurs de la direction antimafia, cité dans le rapport de Legambiente.

Reportage dans le Courrier (Suisse) publié le 1er février 2014

Reportage dans le Courrier (Suisse) publié le 1er février 2014

En 2008, le scandale de la dioxine dans les mozzarelle di bufala avait ébranlé toute l’Europe, menaçant tout un secteur. Le problème sanitaire était déjà lié aux déversements sauvages de déchets toxiques par la mafia. Suite à la promesse du ministère italien de la santé de redoubler les contrôles sur les produits, la Commission Européenne avait aidé à calmer le vent de panique qui avait balayé les marchés.

Si elle n’a pas encore dépassé les frontières italiennes, la psychose couve de nouveau. Effrayée par les mises sous séquestres récentes et répétées de centaines d’hectares d’exploitation agricole – dont un champ à Caivano où poussaient des choux fleurs jaunes-fluo – la population locale a cessé d’acheter fruits et légumes sur les marchés. « Je préfère aller au supermarché. Même si les produits sont importés d’ailleurs, au moins je suis sur qu’ils ont été contrôlés » explique Mario, un père de famille napolitain. Les agriculteurs craignent le pire. Par mesure de précaution, ils se voient interdire d’utiliser l’eau de certains puits pour l’irrigation de leurs champs et doivent les abandonner à la jachère. « Lorsque les parcelles ne sont pas cultivées, c’est là qu’elles deviennent vulnérables. Loin des regards, les criminels viennent y déverser tout et n’importe quoi » insiste l’agronome Crispino Pasquale, à la fenêtre de son imposant 4×4 blanc immaculé. « Les fruits et légumes cultivés ici sont exportés dans toute l’Europe. S’ils étaient contaminés, on constaterait une augmentation des maladies ailleurs, pas ici» se défend le représentant des agriculteurs de la région. Autour de lui, une dizaine de paysans, inquiets de voir débarquer des journalistes dans leurs champs, acquiescent. « Nous ne sommes pas des criminels, si les analyses prouvent que nos produits sont contaminés, nous sommes prêts à tout détruire devant les caméras».

« Cette situation fait soudainement la une des journaux parce que les citoyens se sont réveillés, avant ils ne savaient rien. C’était les institutions qui savaient, les premières enquêtes remontent au début des années 90. La population s’est réveillée quand elle a commencé à mourir !» raconte Vincenzo Tosti.Le 16 novembre, entre 60.000 et 100.000 personnes ont défilé dans les rues de Naples pour protester contre « l’écocide » en Campanie et pour demander des réponses au gouvernement. La mobilisation, d’une ampleur inédite, a été reléguée à la fin des journaux télévisés et les responsables politiques se sont bien gardés de la commenter sur le moment. Mais trois semaines plus tard, le gouvernement d’Enrico Letta adoptait d’un décret-loi introduisant un délit d’incendie de déchets passible de peines de prison, prévoyant dans les 150 jours un recensement des terres aptes à la culture de fruits et légumes et donnant un coup d’accélérateur aux opérations de bonifications, grâce à un nouveau budget de 600 millions d’euros. Le décret prévoit aussi la possibilité d’envoyer l’armée dans les champs, là où cela sera jugé nécessaire par le préfet.

Après vingt ans d’immobilisme coupable et d’omerta, quelque chose commence à changer. Grace à un premier travail de surveillance et de cartographie des parcelles concernées par la pollution effectuée par une cellule spéciale mise en place par les préfectures locales, Legambiente remarque une diminution de la fréquence des incendies criminels ces derniers mois. Sur place, la réponse du gouvernement national est accueillie avec soulagement mais avec une grande prudence. Les habitants restent très perplexes quant aux fonds débloqués pour la bonification. « Ceux qui ont pollué et gagné des millions pour enfouir des déchets vont tout d’un coup retourner leur veste et se présenter pour tout nettoyer » prévient Vincenzo Tosti « Il faut être très attentifs. Et nous serons très attentifs ! ».

 

L’heure de la récolte a sonné

Ce n’est plus la saison de la tomate-mozarella, certes. Mais grâce à la grande distribution, vous pourrez quand même trouver les ingrédients pour mettre du soleil dans votre assiette pendant tout l’hiver.

Terra Eco février 2013

Sauf si vous avez été indignés vous aussi par un reportage de #CashInvestigation sur France 2. Selon la Repubblica, l’émission  sur « Les récoltes de la honte » a littéralement « révolté la France ».

La situation n’est pas nouvelle et malheureusement malgré articles et boycotts, peu de choses changent.

Quelques mois avant la diffusion de ce documentaire, Terra Eco publiait mon reportage dans les champs de tomate des Pouilles et les orangeraies de Rosarno.  « La tomate italienne presse ses forçats africains »

Le 7 septembre 2012,  Radio France Internationale diffusait mon reportage à Gran Ghetto et Boreano (Sud)

Le 25 octobre 2012, la Deutsche Welle mon reportage à Saluzzo, dans le Piémont (Nord)

 

Le  22 mars 2013, France Inter avait diffusé mon reportage audio et publié un reportage multimédia à Gran Ghetto et Rosarno.

 

E il 17 maggio 2013 Internazionale pubblicava il mio reportage  « Sfruttamento Stagionale » nel numero 1000

Reportage dalla Puglia, dove i lavoratori africani vivono nelle baracche e sono pagati poco più di un euro per ogni quintale di pomodori raccolti.

All’uscita dell’autostrada a Foggia decine di camion pieni di casse di pomodori sorpassano ad alta velocità le poche auto che sembrano smarrite.
Tra le distese di colore giallo nella pianura che si estende tra la costa adriatica e le colline del Gargano, i camion lanciati a tutta velocità su strade dissestate sollevano nuvole di polvere.
Quest’atmosfera da far west diventa lentamente più simile alla boscaglia africana. L’asfalto sparisce e lascia il posto a una strada dissestata. Gli ammortizzatori cigolano e le auto sobbalzano.
Due giovani maliani avanzano rapidamente a piedi, passando per i campi, per raggiungere il “Gran Ghetto”. È il nome che i lavoratori stagionali africani hanno dato a una baraccopoli che si trova nel mezzo della Capitanata, la regione agricola nel nord della Puglia. Una vera e propria cittadina, organizzata in baracche costruite intorno a pochi edifici abbandonati. Le baracche sono fatte con cartone, legno riciclato, spago e corda. Durante la stagione della raccolta dei pomodori qui ci vivono tra le ottocento e le mille persone, provenienti in gran parte dall’Africa occidentale.
L’oro rosso da qualche anno ha conquistato le terre della Capitanata. Una coltura molto più redditizia dei cereali che si coltivavano prima. Nella regione si raccolgono ogni anno duecentomila tonnellate di pomodori, che vengono poi trasformati in conserva e salsa e venduti in Italia e all’estero.
L’industria agroalimentare del pomodoro ha un volume d’affari di trecento milioni di euro all’anno. I lavoratori stagionali africani sono pagati 3,5 euro per ogni cassa con circa trecento chili di frutta e verdura, secondo il prezzo concordato con il “caporale”, che incassa un’ampia commissione sul raccolto. Sotto il comando del “capobianco” (il caporale bianco), che è il tramite tra l’agricoltore e l’industria di trasformazione, c’è il “caponero” (il caporale nero) che, grazie alla rete di contatti creata nel corso degli anni, organizza la formazione di squadre basandosi sulle sue conoscenze e sulla capacità di ogni uomo che gli si presenta davanti.
In una giornata di dieci ore di lavoro, un uomo robusto e allenato può riempire al massimo sei o sette casse. Gli stagionali guadagnano quindi in media tra i 20 e i 25 euro al giorno, dai quali devono detrarre circa 5 euro per il trasporto nei campi, 3,5 euro per un panino la sera, 1,5 euro per una bottiglia d’acqua e 20 euro al mese per l’affitto di un materasso in una baracca. “A mezzogiorno gli uomini non si fermano per mangiare. Ogni tanto, se hanno troppa fame, addentano un pomodoro”, spiega Ilaria Minio Paluello, una volontaria dell’associazione Io ci sto, che assiste gli stagionali. Lei stessa viene accompagnata nei campi, di nascosto: “Quando il capo arriva nel campo, i lavoratori devono mettersi sull’attenti e salutarlo. A volte urla ‘Non ho sentito!’ e li costringe a ripetere più forte ‘Buongiorno capo!’”, racconta.

Dopo la giornata nei campi, i lavoratori tornano nelle baracche del Gran Ghetto: materassi sfondati appoggiati sul pavimento di terra battuta, qualche coperta stesa in mezzo alla polvere e vestiti appesi a ili di plastica.
Abdou riposa, è appena tornato da una dura giornata di lavoro. Gli altri, Mady, Bamba, Ousmane si lavano prima di uscire. Bimarlo aiuta la padrona nigeriana di un “ristorante” a uccidere una capra in mezzo alla spazzatura, sotto gli sguardi affamati dei cani randagi. Il sangue dell’animale morto si mescola all’acqua sporca delle docce. I locali che ospitano i bagni sono fatti nel migliore dei casi con quattro pareti di plastica, altrimenti con delle tende appese a dei paletti. Niente tubature, solo un secchio di plastica che prima deve essere riempito alla cisterna. Al Gran Ghetto non c’è acqua corrente né elettricità. Alcuni generatori rombano dietro le “case” dei più ricchi, che fanno pagare cinquanta centesimi per far ricaricare la batteria di un cellulare.
Il campo è stato costruito vicino ad alcuni casolari abbandonati. Spesso sono occupati abusivamente o gestiti da caporali neri. In Italia sono molti i braccianti che vivono in queste condizioni. Secondo l’Istat, il 43 per cento dei lavoratori del settore agricolo lavora in nero, circa 400mila persone di cui una su quattro è in stato di grave sfruttamento. Secondo il sindacato degli agricoltori Flai Cgil, ogni anno lo stato perde circa 420 milioni di euro di tasse su questo lavoro sommerso. “Senza contare che l’assenza di tutele dei lavoratori, pagati meno della metà rispetto al salario medio legale, arricchisce la criminalità organizzata”, afferma un comunicato del sindacato. I caporali, infatti, sono spesso legati, direttamente o indirettamente, alle organizzazioni criminali.

“Fino a prova contraria, siamo un anello essenziale dell’agricoltura italiana. Da sud a nord, sono gli africani che lavorano nelle campagne! Ma le autorità si rifiutano di prendere atto di questa situazione, di riconoscere il nostro ruolo essenziale. Vogliono trattarci come persone di seconda classe”, si indigna l’ivoriano Ibrahim Diabaté, che da anni attraversa l’Italia seguendo le stagioni. Raccoglie pomodori a Foggia d’estate, pesche e mele a Saluzzo, in Piemonte, in autunno, arance e clementine a Rosarno, in Calabria, d’inverno. Più di un anno fa si trovava a Nardò, nel sud della Puglia, quando gli stagionali africani hanno deciso di scioperare.
Per due settimane gli uomini si sono rifiutati di andare a raccogliere i pomodori.
Quando la frutta ha cominciato a marcire sulle piante, i caporali hanno accettato di aumentare un po’ la paga dei lavoratori. Quella stessa estate del 2011, dopo lo straordinario sciopero dei “braccianti”, si è deciso di punire il caporalato introducendo nel codice penale il delitto di “intermediazione illecita e sfruttamento del lavoro”. Punito con una pena tra i cinque e gli otto anni di reclusione e con una multa da mille a duemila euro per ogni lavoratore sfruttato.
L’adozione di questa legge però non ha avuto molti effetti sulle condizioni di lavoro degli stagionali, a causa dell’assenza di controlli e perché gli stagionali, che spesso sono senza documenti, hanno paura a denunciare i caporali. La situazione di questi lavoratori conquista i titoli dei giornali solo in occasione di eventi straordinari, come lo sciopero di Nardò, o gli incidenti a Rosarno. Qui, una sera di gennaio del 2010, un marocchino, un ivoriano e un togolese sono stati colpiti da proiettili ad aria compressa esplosi da un gruppo di abitanti. Il giorno dopo duemila immigrati hanno manifestato nel paese per protestare contro quell’aggressione. Per alcuni giorni ci sono stati scontri tra la polizia, gli immigrati e gli abitanti, che si sono conclusi con il trasferimento dei migranti nei centri di identificazione ed espulsione di Napoli e Bari. Due anni dopo quei fatti, per evitare nuovi episodi di tensione, il governo ha installato una tendopoli nella zona industriale di Rosarno, con acqua ed elettricità. Ignorando completamente le ragioni profonde che avevano spinto i lavoratori immigrati a piegarsi a simili condizioni di vita.

La sera, dopo il lavoro, sotto la sua tenda blu, Babacar Cissé – che lavora a Rosarno e al Gran Ghetto – scrive poesie. Lo stesso fa Ibrahim Diabaté. A Boreano, Zak guarda dvd di cantanti africani. Tra le migliaia di immigrati che lavorano nei campi italiani, molti sono diplomati. Adou ha abbandonato gli studi di sociologia per venire in Europa. Commenta con amarezza: “Ai tempi della schiavitù agli africani venivano messe le manette e le catene, si usava la violenza. Oggi si cerca di rendere le cose meno dure, ma le catene sono sempre lì. Sono le catene del permesso di soggiorno, del lavoro o dell’alloggio. Tutte cose che mancano e che ti rendono asservito”. Con Issouf, Ibrahim e Babacar, migliaia di africani si svegliano tutte le mattine all’alba per andare a lavorare nei campi e nei frutteti della Calabria e della Sicilia. Sono pagati 4 euro per trecento chili di frutta raccolta. Frutta che inisce nei mercati d’Italia e d’Europa a circa due euro al chilo.

(Mathilde Auvillain, Terra Eco, Francia)

Fonte: Internazionale 17/23 maggio 2013, N°1000

La crise, un cadeau à la mafia

usura-11L’Italie subit la morsure de la crise. Ce n’est pas qu’une expression, ce n’est pas qu’une impression. C’est la réalité. Partout, dans le public et dans le privé, les budgets diminuent, l’enthousiasme et la confiance en l’avenir sont au plus bas. Les entreprises ferment, les employés sont licenciés. Les premières victimes de cette crise économique et financière ce sont les petites et moyennes entreprises, terreau de l’économie italienne – troisième de la zone euro.

Même si cela ne fait plus « notizia », chaque jour encore des entrepreneurs désespérés, criblés de dettes ou harcelés par les agences de recouvrement des impôts, choisissent de mettre fin à leurs jours.  Pas de statistiques récentes, le décompte macabre des morts imputables à la crise n’est plus mis à jour. Dans les journaux les chiffres de la crise se résument aux milliards d’euros nécessaires pour couvrir la suppression de l’IMU, aux points de pourcentages de l’augmentation inéluctable de la TVA, au montant du prochain plan de rigueur.

Les chiffres du credit crunch passent inaperçus, pourtant en juillet la BCE observait en Europe une baisse de 3,7% des prêts aux entreprises sur un an. La situation est particulièrement dramatique en Italie, où de plus en plus de chefs d’entreprise, étranglés par la crise, se retrouvent pris aux pièges. Faute de liquidités,  nombre d’entre eux n’ont pas le choix et doivent recourir à des sources de financement illégales pour payer leurs fournisseurs, leurs employés et les taxes réclamées par l’Etat.

« La crise fait un grand cadeau à la mafia » estime Lino Busa, président national de SOS impresa, association qui vient en aide aux entrepreneurs victimes d’usure, dans ce reportage réalisé pour la Deutsche Welle et RFI en décembre 2012, diffusé en janvier 2013. Reportage toujours d’actualité, dix mois plus tard.

pour en savoir plus sur la mafia et la crise, « Usura, il BOT delle mafie » – rapport de l’association antimafia LIBERA publié en octobre 2012

No country for giovani

l43-disoccupazione-giovani-120407125341_mediumEn Italie, le taux de chômage chez les jeunes actifs atteint un niveau record de 39,1%, avec de fortes disparités entre le nord et le sud du pays. Pour certains entrepreneurs du nord, malgré la crise, les italiens n’ont pas suffisamment « faim » et rechignent à accepter certains emplois jugés « pénibles ». Vrai ou faux? La débat revient régulièrement dans la presse depuis 2008, particulièrement en été. En 2011, le Corriere della Sera tirait la sonnette d’alarme : « Pénurie de boulangers dans les Abruzzes ». Submergée de cv dans les jours qui ont suivi, l’organisation professionnelle des boulangers a du démentir l’information. La blogueuse Sara Rocutto revient sur ces « instrumentalisations » du chômage des jeunes dans un post documenté et pertinent : « Les jeunes ne veulent plus se salir les mains? c’est mieux ».

Toujours est-il que chaque année le débat refait surface, tournant presque au conflit de génération. Cf. ce papier écrit fin aout pour le fil éco de l’AFP.

Italie: vif débat sur les emplois « boudés » par les jeunes chômeurs 

De Mathilde AUVILLAIN (AFP) – 22 août 2013

Rome — Plombée par un chômage record dépassant les 39,1% chez les jeunes actifs, l’Italie peine à faire concorder offre et demande sur le marché de l’emploi, alimentant de vifs débats.

« Les Italiens n’ont pas faim. Moi à 16 ans j’allais à l’usine en vélo et à 27 ans, j’étais responsable de 1.000 ouvriers », a lancé Giovanni Pagotto, entrepreneur du nord de l’Italie dans une interview au Corriere del Veneto.

Il n’en fallait pas beaucoup plus pour déclencher une polémique, dans une Italie à fleur de peau, engluée dans la récession depuis près de deux ans et déprimée par un chômage en hausse, atteignant déjà 12% au niveau national.

Giovanni Pagotto, gérant d’Arredo Plast Spa, qui fournit des produits plastiques à la chaîne suédoise Ikea, emploie une main d’oeuvre à 90% immigrée car il dit manquer de candidatures « autochtones ».

Interrogé par l’AFP, il pense que les travailleurs italiens sont moins enclins à se plier aux contraintes horaires et à la pénibilité que les travailleurs étrangers recrutés à travers les agences d’intérim.

« Je ne crois pas une seconde à cette histoire », s’insurge une jeune femme anonyme du Frioul (nord) sur le site du Corriere della Sera, assurant que « des milliers de jeunes au chômage envoient des CV sans recevoir de réponse ». « Quand j’ai perdu mon travail il y a quelques années, j’ai du bosser comme éboueuse, accrochée derrière les camions poubelles », poursuit-elle indignée.

Pour certains jeunes blogueurs des sites du Fatto Quotidiano et Linkiesta, les cris d’alarme comme ceux de M. Pagotto ne sont autre que le fruit d’une propagande « anti-crise » orchestrée par des politiciens en panne de solutions.

Régulièrement, des centres d’études et autres organisations professionnelles font pourtant état de pénuries de main d’oeuvre. Ainsi 150.000 emplois -couturier, boulanger, menuisier- seraient « snobbés par les Italiens », selon un rapport de la fondation Studi Consulenti.

De même, il manquerait 6.000 « pizzaiolos » dans le pays natal de la « margherita », contraignant les gérants des 50.000 pizzérias italiennes à se tourner vers de la main d’oeuvre étrangère, selon la FIPE, une branche de Confcommercio.

Des jeunes trop exigeants?

Les jeunes Italiens serait-ils trop « choosy » -trop difficiles- comme l’avait assuré Elsa Fornero, ministre du Travail du gouvernement de Mario Monti, s’attirant les foudres de toute une génération de jeunes diplômés?

« Il est vrai que les jeunes générations ont des attentes trop élevées concernant leur avenir professionnel », confirme partiellement à l’AFP Daniele Marini, directeur de la fondation Nord Est, un observatoire socio-économique. Mais « il ne faut pas généraliser », tempère ce professeur, reconnaissant que le désintérêt des jeunes générations pour les professions manuelles « ne relève pas de leur seule responsabilité ».

« A la télévision et dans les journaux, le travail est toujours illustré par des ouvriers travaillant sur des chaînes de montage, comme si on était encore au XIXe siècle! » remarque le chercheur.

En outre, un système scolaire mal organisé en termes d’orientation professionnelle « ne permet pas de préparer les jeunes aux métiers d’avenir », relève Daniele Marini.

Une étude d’Union Camere publiée cette semaine montre que la pénurie ne touche pas que les métiers manuels. L’Italie manque aussi d’économistes, de managers, d’ingénieurs, de mathématiciens et de commerciaux, selon cette Union des chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture. Pour 12% des postes offerts dans ces secteurs, les candidats sont « introuvables ».

Sur fond de crispations, de polémiques et d’inquiétudes, le parlement a adopté le 7 août un décret gouvernemental qui va permettre le déblocage de près de 800 millions d’euros pour l’emploi des jeunes.

Une enveloppe qui servira à subventionner le recrutement à durée indéterminée d’actifs ayant entre 15 et 24 ans -à condition qu’ils n’aient pas travaillé les six mois précédent et qu’ils n’aient pas de diplôme d’enseignement secondaire- mais aussi la création d’entreprises et les stages.

« Nous avons la possibilité de faire davantage », a affirmé Enrico Giovannini, le ministre du Travail, avant un conseil des ministres prévu vendredi, alors que l’économie italienne donne de timides signes de reprise en 2014.